Cosmologie samkhya:
Bien que la philosophie samkhya ne constitue qu'une des
versions de la création de l'Univers et des liens de filiation au
Brahman, son influence sur le système de croyances est primordiale
puisqu'elle justifie l'existence de la trinité (Trimurti) Visnu,
Siva, Brahmaa. L'Être primordial, Brahman, est pure conscience, indivisible
(advait) et inqualifiable. Entendez par ce dernier terme sans qualités
définissable. L'émergence d'une dualité en son sein,
constituée d'un Esprit Universel, connu sous le nom de Naaraayana
ou Purusha (l'Homme) distinct de la Nature primordiale, Prakriti, est la
première étape de l'évolution du Brahman et la dernière
de son involution à la fin de chaque cycle cosmique. Le Purusha est
souvent considéré comme spectateur des activités matérielles
de la Nature. Il est l'Âme (Aatman ou paraatma) qui imprègne l'Univers,
en jouit et dont notre vraie personnalité constitue une part infime (aatman- voir Bh.G. 10-20)
aham aatmaa gudaakesha
sarva-bhutaasaya-sthitah
aham aadish ca madhyam ca
bhutaanaam anta eva ca
Je suis l'Âme suprême, siégeant dans le cœur
de tout être vivant. Je suis le début, le milieu et la fin
La deuxième phrase souvent répétée dans le Gitaa
rappelle qu'Il est le Créateur, l'Animateur et le Destructeur de
la Vie et de l'Univers. Lorsqu'il est dit que notre âme est une part
infime de Dieu il ne faut pas comprendre que l'Aatman est divisé
puisque Dieu est advait mais en quelque sorte doué d'ubiquité.
Nous reviendrons sur les implications de notre nature divine et éternelle,
qui constitue la base de la philosophie des Veda (Vedanta).
En la circonstance, c'est cependant le Purusha qui par sa Maayaa (que je traduirai momentanément par fantaisie) crée un déséquilibre
(instabilité?) entre les trois modes (gunas) au sein de la matière
primordiale. Elle devient mue par le temps (Kaal), dirigée
par une intelligence cosmique (Mahat) et son activité est le karma.
Les 3 modes, qualités ou attributs de chaque manifestation de l'activité
divine (ou humaine) sont sattvam, rajah et tamah. Est "sattvique"
(pour franciser le terme) ce qui est beau, bon, lumineux, vrai, spirituel.
Lord Visnu qui préside à l'ordre cosmique est sattvique. Notons
au passage qu'il est déjà une création du Tout Puissant,
une Personnalisation pour ne pas employer le terme Incarnation qui sous-entend
matérielle, puisqu'il a une "qualité". L'action,
la passion, l'énergie aussi sont raajasiques et Lord Brahmaa auquel
sera délégué la poursuite de la création est
raajasique. La matière, l'inertie, l'obscurité, l'ignorance,
la mort sont taamasiques. Pour l'anecdote mentionnons que lord Shiva, le
membre de la Trinité hindoue chargé de la destruction de l'Univers
est très pâle et le blanc est la couleur du deuil, Brahmaa
est rouge et Visnu est bleu d'azur comme le ciel.
La création d'un monde matériel avec un ordre cosmique confère
une identité à chaque chose, chaque action et sujet de cette
action, identité appelée ahamkaara (ego).
La philosophie hindoue reconnaît l'existence de 5 éléments
(bhuta) au lieu de 4 pour le penseur occidental. Chacun procède du
précédent dans l'ordre de la création, présentant
une identité de complexité croissante. Le premier de ces éléments
est l'éther/espace/ qui a la propriété de transporter les
ondes sonores et le sens cognitif (indryaa) correspondant est l'ouïe. L'air
possède la qualité supplémentaire de permettre le toucher.
Pour vous en convaincre souvenez vous du vent agitant les feuilles des arbres
ou caressant votre peau. L'acteur est Vayu, dieu des vents, caractérisé
par une grande force qu'il transmets à ses fils Hanuman ou Bhima
(un des 5 Pandava dans le Mahaabhaarata). Le feu a une couleur et une forme,
par conséquent lui est associé le sens de la vue. Son Dieu
est Agni, auquel sont consacrés de nombreuses odes en vers dans le
Rig Veda. L'eau possède une forme, une couleur, un toucher et un
son et elle a pour propriété complémentaire d'avoir
un goût. Son dieu est Varuna. Enfin la terre a une odeur. Elle est
souvent assimilée à la mère Nature, Durga, Uma ou Parvati.
L'homme possède aussi 5 sens conatifs (actifs par opposition aux
sens cognitifs précédents), qui sont la parole, les mains,
les pieds, le pénis et l'anus et un sens interne de la pensée
(mana), le cerveau assez improprement appelé esprit
en français, que l'on peut assimiler à notre computer. En
effet on doit distinguer la pensée, commune à la plupart des
espèces animales, qui transmet les informations utiles entre les
sens cognitifs et conatifs, de l'intelligence (buddhi),
instrument de la connaissance, du discernement et de la décision,
propre à l'homme. L'"élément" divin dans
le cas de l'homme est la conscience (jiva) que je définirais
comme l'âme assujettie au dualisme de notre existence en tant qu'être
vivant, investie de désirs matériels. Le but du croyant est
de s'affranchir de ce dualisme pour retrouver en soi sa vraie nature divine,
l'aatman, et ainsi communier au sens propre avec Dieu.
indriyaani mano buddhir
asyaadhishthaanam ucyate
etair vimohayaty esa
jnaanam aavrtya dehinam
Ainsi dit Lord Krishna dans le Bhaagvad Gitaa (Bh.G, shloka 3-40): Les sens, le cerveau et l'intelligence sont les sièges de la convoitise, désorientant la créature et obscurcissant son entendement.
A propos de la présence de Dieu dans chacune de
ses oeuvres, l'imprégnant et lui conférant éventuellement
la vie et une conscience, je vous rapporterai un de mes passages préférés
du Bhaagvad Gitaa:
raso ham apsu kaunteya
prabhaasmi shashi-suryayoh
pranavah sarva-vedesu
shabdah khe paurusham nrshu|
punyo gandhah prthivyam ca
tejas caasmi vibhaavasau
jivanam sarva-bhuteshu
tapash caasmi tapasvisu
(Bh.7-9,10): Oh fils de Kunti (Arjun), Je suis le goût de l'eau, la lumière du soleil et de la lune, la syllabe Om dans les mantras, le son dans l'éther et les aptitudes humaines. Je suis le parfum originel de la terre, la chaleur du feu, la vie dans tout ce qui vit et la pénitence des ascètes.
Toutes ces définitions pourraient apparaître superflues au néophyte qui cherche à comprendre l'originalité de la philosophie hindoue si les termes n'étaient bien souvent employés à contresens dans les traductions qu'ont fait les occidentaux des textes religieux. Sans doute ont ils procédé en toute bonne foi, imprégné de leur sensibilité "judéo-chrétienne". Ainsi l'atman ou la jiva sont souvent confondus avec la buddhi dans les traductions anglaises du 19eme siècle, résultat probable d'une tournure d'esprit pragmatique. Il en est souvent de même du dharma, du karma et du yoga. Ce dernier est pour beaucoup devenu simplement une discipline corporelle. Le dharma trouve lui même une définition erronée de devoir social dans l'esprit de certains philosophes indiens agnostiques (Chaturvedi Badrinath). Cette définition de l'une des 4 aspirations fondamentales de l'être humain est bien trop limitative si l'on prend conscience du fait que la poursuite du dharma est la condition essentielle à l'accomplissement de la moksha, libération du dualisme et du cycle des renaissances. Puis je définir le dharma comme l'activité spirituelle de l'être humain partant du principe qu'il ne représente pas un devoir imposé de l'extérieur mais ce qui seul devrait s'imposer à son esprit raisonnable et intelligent pour retrouver sa nature divine? La nature des priorités dans le dharma font l'objet de longues discussions dans le Mahaabhaarat entre Dritharashtra ou Yudishtira (Yudishtira, l'ainé des Pandava, est le fils du Dieu Dharma et de Kunti) et leurs conseillés spirituels respectifs. Tour à tour ils proposent que le dharma est avant tout la Vérité (satya), la non violence (ahimsa), mais aussi le dévouement (altruisme), le respect des rituels et des varna (rôle social ou caste).
Investie pendant un certain temps d'une enveloppe charnelle pour jouir de la création de Dieu, notre âme doit apprendre à s'en affranchir par le détachement et la méditation pour retrouver sa vraie nature. Si elle n'y parvient elle n'est pas prête à la libération consistant en une communion totale avec Dieu et subira le sort qu'elle a elle même choisi: la renaissance sous une forme correspondant à ses aspirations.