Tentative d'explication de la persistance des varna:
Toute société organisée établit
une échelle hiérarchique fondée sur des valeurs morales
ou pratiques, dans laquelle l'exercice des rituels, de l'administration,
le contrôle de l'argent offrent le plus souvent des positions de choix
à leur détenteurs. Dans la société hindoue traditionnelle
l'existence des castes (varna ou couleur) trouve sa justification dans le
mythe du Purusha sukra, dont l'existence remonte au Rig Veda, soit à
plus de 3000 ans. Selon ce mythe les brahmin (on utilise aussi le mot brahman
prêtant à confusion), possesseurs de la connaissance et exerçant
les fonctions d'enseignement et de prêtres, sont issus de la bouche
du Purusha. Les kshatrya, guerriers et administrateurs, en sont les bras.
Les vaishya, artisants et commerçants, en sont les cuisses et les
shudra ou serviteurs en sont les pieds. Ce dernier rôle n'est en rien
avilissant car il est écrit dans le Bhaagvata Purana entre autres
textes que l'Homme se tient debout sur ses pieds. Le brahmin possède
un caractère sacré pour la simple raison que par sa connaissance
et ses attributions il est le mieux qualifié pour accéder
à la libération (moksha). Le brahmicide est un horrible péché
qui conduit au plus sombre des enfers. Se libérer du cycle des renaissances
(samsara) requière une longue purification de ses fautes antérieures
et un détachement des liens matériels de ce monde auquel ne
prédisposent pas les tâches du guerrier, de l'administrateur,
du banquier ou du commerçant. Le travailleur de la terre ou tout
autre homme du peuple exerçant des tâches humbles ne dispose
généralement pas d'une culture suffisante pour connaître
tous les impératifs du dharma. Il peut espérer en exerçant
son rôle correctement accéder à une caste supérieure
au cours d'une prochaine naissance. C'est pour cela que le brahmin
est appelé deux fois né, qualificatif progressivement octroyé
au fil du temps au kshatrya puis au vaishya. Mais l'exception justifie la
règle.
mam hi paartha vyapaashritya
ye pi syuh paapa-yonayah
striyo vaishyaas tathaa shudras
te pi yaanti paraam gatim
(Bh.G.9-32): celui qui cherche refuge en moi, soit il une
femme, un vaishya ou un shudra, peut aussi atteindre la destination suprême
On compte aussi dans la mythologie de nombreux cas de mécréants,
notamment des démons, qui accèdent à libération
par leur dévotion au moment de leur mort. Inversement, la pratique
de longues pénitences (quelques milliers d'années sur un pied
en se nourrissant d'eau puis d'air) ne permet souvent au sage des écritures
que d'accéder au paradis d'Indra ou de Brahma (Brahmaloka). On peut
aussi se sentir révolté par l'injustice des dieux qui refusent
a Trishanku, roi mythique de la lignée du soleil et ancêtre
de Raama, d'accéder au rang de brahmin, en lui disant qu'il manque
d'humilité. Il atteindra un position au firmament, mais la tête
en bas.
Les concepteurs de ce système des varna avaient pressenti un relâchement
des moeurs, donnant lieu à la division de la durée d'existence
de l'Univers matériel en Yuga. Sans entrer dans le détail
un peu confus de la subdivision de la vie de Brahma, chacune de ses journées
(Kalpa durant 4 milliards d'années) est composée de 1000 mahaa
yuga et chaque mahaa yuga est subdivisé en 4 yuga nommés krta,
tretaa, dvaapara et kali yuga, de durées décroissantes. Le
point intéressant est qu'au cours du premier de ces ages, le krta
yuga, les hommes, probablement tous brahmin, connaissent le dharma. Au cours
du tretaa yuga leur vie acquière un caractère un peu plus
rajasique et les kshatrya sont autorisés à pratiquer des sacrifices.
Le tamas devient vigoureux au cours du dvaapara yuga et les vaishya participent
aussi aux rites. Nous sommes entrés dans un kali yuga il y a environ
3000 ans, juste après la bataille mythique de Kurukshetra (évènement
central de l'épopée Mahaabhaarata- voir annexe) au cours de
laquelle Lord Krishna a "réglé son compte" à
la caste des kshatrya en raison de leur manque de respect des valeurs morales
essentielles (adharma).
Beaucoup d'Hindous sont convaincus que ce système ne trouver plus
aucune justification aux temps modernes où on se plait à espérer
que l'éducation touche aussi les masses laborieuses et où
les guerriers ont cédé la place aux princes de l'argent. Mais
sur le plan social s'y est greffé au cours des siècle un système
de jaati fondé sur l'origine ethnique, dont chacune se prétend
relever d'une varna donnée selon le principe que l'activité
sociale d'un individu (varna) est prescrite par sa naissance (jaan). Sur
le plan moral, l'abnégation de l'ahamkara est une vertu de base de
l'Hindouisme dont la valeur reste d'actualité. Par conséquent,
l'homme qui par sa valeur morale plus que par sa naissance peut prétendre
au titre de brahmin mérite la dévotion du commun des mortels.
Selon le principe de notre unité fondamentale dans l'Aatman, nous,
nous lui devons de faciliter son accession à la communion avec Dieu,
en lui évitant de se disperser dans des activités "bassement
matérielles". Mon propos n'est pas de justifier la persistance
du système des castes dans l'Inde moderne et surtout l'exclusion
sociale des hors caste, combattue par tous les hommes de bonne foi (souvent
de façon malhabile par les politiciens) mais d'essayer d'expliquer
cette injustice flagrante.
Je devrais peut être commencer par rappeler l'origine des hors caste
(intouchables, Dalits, Harijan ou "enfants de Dieu" ). Les Aryens
appelaient Rakhsasas (démons supposés cannibales) les indigènes
qui ne partageaient pas leur foi dans les Veda. Les tribus ne participant
pas à plein titre à la société indienne constituent
encore de nos jours une fraction notable de la population (environ 5%).
Leur statut politique de "scheduled tribes" diffère peu
de celui des "scheduled castes" attribué aux intouchables
exclus entre autres choses de la participation aux rites religieux en raison
de leur activité impure. Ces activités impures incluent notamment
toutes les tâches se rattachant à la manipulation des cadavres
humains ou animaux, le nettoyage, la tannerie. Leur intouchabilité
n'est à ma connaissance justifiée nulle part dans les écritures.
Allez savoir si à l'origine les intouchables étaient recrutés
parmi les serviteurs d'origine tribale? Quoi qu'il en soit tout être
humain mérite le respect. Par ailleurs, si le sort réservé
aux hors castes est inqualifiable, les laisser pour compte du progrès
social sont avant tout de part leur nombre les shudra (environ 60% de la
population) et eux trouvent peu de défenseurs. Le mariage intra-caste
et surtout intra-jaati est toujours de vigueur, en grande partie parce que
le mariage dans la société hindoue est la co-option de 2 familles
avant d'être celle de 2 individus. Le fait que 70% de la population
réside encore dans les villages favorise le communalisme. Il n'existe
pas de solution évidente au paradoxe du communalisme qui consiste
à s'associer de préférence à des individus partageant
la même foi, pour resserrer progressivement les critères aux
mêmes valeurs sociales, un même statut, pour finir par une liste
d'arbres généalogiques plus ou moins frauduleux, et en tout
état de cause à diviser la société. Une solution
de fait est sans doute la restriction des liens familiaux à quelques
proches parents inhérent à l'adoption du mode de vie occidental.
Point n'est besoin de dire que ce relâchement de la structure familiale
est regrettable à de nombreux titres: entraide, sort réservé
aux ainés. On peut penser que l'abandon du mariage arrangé
entre familles résoudrait encore plus simplement le problème,
mais sa viabilité fait encore ses preuves si l'on s'en réfère
à la proportion de divorces. Vous me direz que la stabilité
de mariages s'explique avant tout par le statut de la femme: "en charge
de son père puis de son mari pour devenir avant tout une mère".
Mais le lien pati-patli sur lequel il faudrait revenir plus amplement me
semble avoir une plus grande consistance sur le plan religieux que le mariage
au sein des communautés chrétienne, juive ou musulmane. Alors?
Est ce utopique que d'espérer que, éducation aidant, les hommes
comprennent que les écrits religieux ont une histoire et que par conséquent ils ne sont pas indélébiles.
Avec toutes mes excuses si je ne reprends pas mot pour mot la parole du
prophète, mais n'est ce pas le Coran qui dit que le contenu de la
Bible est saint mais que les croyants doivent adopter la nouvelle version
révisée de la loi divine? Le clergé catholique n'a
t'il pas expurgé consciencieusement les Évangiles, voir censuré
certains? Croyez vous dur comme fer à tous les tabous sexuels de
la Bible, à la perversité féminine? Faut il les effacer
du Livre ou plus simplement admettre qu'il est le fruit d'une activité
humaine par conséquent temporel et imparfait. L'Hindou plus que tout
autre a toujours été ouvert aux réformes, ayant admis
depuis longtemps qu'il n'existe pas un chemin unique vers Dieu. Si il prétend
que l'Hindouisme est un mode de pensée évolutif et non point
un dogme, recherchant le perfectionnement par la confrontation d'idées
et l'expérience, qu'il ne nous serine pas le refrain de la tradition
pour justifier la persistance des castes. Siddhartha Gautama Buddha s'était
donné pour priorité dans ses méditation d'améliorer
la condition humaine, se refusant même de se prononcer quant à
l'existence de Dieu. C'est sans doute la raison même de l'échec
de la "religion bouddhiste" en Inde. Mais l'abandon du système
des castes en avait fait le succès un certain temps de même
qu'il continue d'être un des fondements de la vitalité du Sikhisme.
Est il hérétique d'espérer que le mépris des
serviteurs les plus humbles de Dieu, shudra et dalit, aura fait un jour
son temps?
Investie pendant un certain temps d'une enveloppe charnelle pour jouir de la création de Dieu, notre âme doit apprendre à s'en affranchir par le détachement et la méditation pour retrouver sa vraie nature. Si elle n'y parvient elle n'est pas prête à la libération consistant en une communion totale avec Dieu et subira le sort qu'elle a elle même choisi: la renaissance sous une forme correspondant à ses aspirations.